Grande-Bretagne et États-Unis, 2018
Note : ★★★
L’acteur et scénariste Max Minghella, fils du célèbre réalisateur et scénariste oscarisé Anthony Minghella, réalise un premier long métrage sous les apparences d’un film pour ado qui regorge de musique pop. Même s’il évite à la fois les clichés du film d’adolescent et des films pop, Minghella livre un film qui nous laisse sur notre faim. Également scénariste et producteur (avec Jamie Bell), il explore l’écart entre cette vie anonyme sans énergie et celle animée du spectacle et de la performance, le tout à travers la timidité et les aspirations d’une adolescente. Il campe d’ailleurs son histoire dans la région dont est originaire son père.
Violet (Elle Fanning), jeune anglaise d’origine polonaise, vit sur l’Isle of Wight éloignée des grands centres britanniques. Entre l’école, son cheval, le travail au restaurant du coin avec sa mère (Agnieszka Grochowska) et la ferme, l’adolescente chante secrètement au pub du coin. Lorsque Teen Spirit, un concours de chant populaire anglais de téléréalité à la American Idol, débarque sur son île pour des auditions, elle se lance et monte les échelons jusqu’à la finale télévisée avec l’aide d’un ancien chanteur d’opéra russe dans une situation de précarité financière (Zlatko Buric). Cette relation permet d’insérer un peu d’humour dans cette histoire d’adolescente peu dynamique.
Toute la promotion du film c’est faite sur le contenu musical et avec raison. Outre une chanson originale de Carly Rae Jepsen, on y entend No Doubt, Major Lazer et la montréalaise Grimes, et des reprises de Robyn, Ellie Goulding, Katy Perry, Ariana Grande, Tegan & Sara, Owl City et Annie Lennox. Une des boîtes de production est Interscope Films, une filiale de Interscope Records, ce qui doit être un avantage. Toutes ces pièces nourrissent ce sentiment pop à l’univers dans lequel Minghella campe son histoire. Mais si la musique pop est à l’honneur par sa constante présence et que le visuel de la compétition est profondément superficiel (flashy, fluo et très lumineux), la caméra, elle, s’intéresse presqu’exclusivement à Violet. Après tout, c’est Violet que l’on suit. Et le réalisateur n’en déroge jamais. Le film évite la superficialité en se concentrant sur la réalité de l’adolescente peu bavarde. Le spectaculaire et la tornade du milieu n’est pas le sujet du film, on s’intéresse à l’état d’âme de Violet et à son désir de choisir sa propre voix/voie. La romance y est bien sûr abordée, adolescence oblige, mais reste plutôt secondaire.
Le drame musical utilise bien son imposant catalogue. Teen Spirit n’est pas une comédie musicale au sens propre du terme puisque la musique est exclusivement intradiégétique et performée devant un public. Max Minghella a tout de même su bien exploiter ces moments musicaux pour faire avancer son déroulement narratif; les performances étant presque toujours présentées par un montage alterné (seule la dernière ne l’est pas), mélangeant passé, présent et la suite de l’histoire. Ces montages ont deux fonctions : rendre l’intériorité de Violet et accélérer l’histoire pour poursuivre le développement personnel de la protagoniste. Les numéros musicaux agissent souvent comme un moment en suspens narrativement et permettent d’exprimer l’intériorité du personnage qui chante. Ici, Minghella détourne ces numéros, donnant à son film une petite touche d’originalité dans ce qui pourrait facilement être que superficiel. Il n’insiste d’ailleurs pas tant sur l’aspect violent de l’univers des contrats de disque, le personnage de Jules, juge et productrice musicale interprétée par Rebecca Hall, n’est jamais caricaturale.
Teen Spirit repose sur son actrice principale. Elle Fanning est sur une même note lorsqu’elle joue Violet au quotidien : peu expressive, sans vivacité et avec toute la lourdeur de l’adolescence. Elle se transforme progressivement et excelle dans les performances musicales de Violet où elle devient beaucoup expressive. Cette dichotomie du personnage peut paraître grossière et peut même la rendre rébarbative pour le spectateur. Max Minghella utilise brillamment les numéros musicaux pour faire évoluer le talent de sa protagoniste. Vocalement, les premières performances sont bonnes, sans être particulièrement renversantes. Le réalisateur ne nous montre pas vraiment les répétitions, les cours de chant, le travail acharné, il ponctue plutôt cette évolution par les interprétations. Et Elle Fanning performe magnifiquement. La jeune actrice, déjà très expérimentée, démontre une fois de plus sa capacité à se transformer dans un contexte de scène. Sa transformation hypnotisante dans The Neon Demon (2016) de Nicolas Winding Refn et sa performance musicale punk dans How to Talk to Girls at Parties (2017) de John Cameron Mitchell nous y avaient préparé. Le réalisateur et son actrice nous réservent le meilleur pour la fin : une reprise plus intimiste d’une chanson de Sigrid.
La caméra de Minghella est en constant mouvement, ce qui peut parfois distraire et sortir le spectateur de la scène. La directrice de la photographie Autumn Durald fait un excellent travail, capturant la beauté de la campagne dans les moments intérieurs de Violet, tout comme le lumineux agressant de la compétition de chant. Le montage marque les esprits également, jouant habilement avec le rythme des pièces musicales. Même s’il s’agit d’un drame musical, Max Minghella démontre un grand talent pour rapidement instaurer une tension (en quelques secondes seulement), ce qui rend son film très prenant pour ses spectateurs.
Si on pardonne quelques raccourcis scénaristiques au film, malheureusement, la fin nous laisse sur notre faim. Même si l’on comprend par sa conclusion que le sujet du long métrage était cette transformation d’une adolescente talentueuse de campagne vers la gloire internationale, le film se conclut à cette finale de Teen Spirit (la compétition). Cette fin soudaine surprend, même si elle fait sens maintenant que Violet a trouvé sa propre voix. Le film a tout de même cet avantage d’être entraînant à travers sa musique qui en vaut un visionnement et une écoute.
Durée: 1h32