États-Unis, 1984
Note : ★★★½
À l’approche de la sortie repoussée de Dune, le dernier film de Denis Villeneuve, il est important de se rappeler le premier long métrage du même nom sorti en 1984 (disponible ici). Si la toute nouvelle version a été réalisée par notre cinéaste international bécancourois, l’auteur du film original est le célèbre réalisateur américain David Lynch. Cette première adaptation à l’écran (n’en déplaise à Jodorowsky) du roman de Frank Herbert, publié en 1965, s’inscrit parmi les films cultes de la science-fiction, pour le meilleur et pour le pire.
Anticipant un avenir possible de l’humanité, le récit prend place plus de huit millénaires dans le futur, notre futur. La péripétie met en scène un conflit intergalactique opposant le peuple nomade habillement nommé Fremen (l’expression en anglais « free men » voulant dire hommes libres) de la planète désertique Arrakis et divers acteurs en position d’autorité impliqués dans un coup d’État. Dans l’adaptation de David Lynch, la race humaine a quitté la terre depuis très longtemps et s’est dispersée à travers l’univers connu. Fidèle à ses habitudes de conquête, l’humain détient le contrôle des quatre coins du vide intersidéral de l’espace qu’il a divisé en royaumes galactiques. L’empereur Padishah Shaddam IV, interprété dans le film par le talentueux José Ferrer, règne sur ce vaste territoire. La planète Arrakis, aussi appelée « Dune », est la seule de l’univers à partir de laquelle il est possible d’extraire un minéral sous forme d’épices, nommé « Mélange ». L’épice détient de nombreuses propriétés uniques, telles que le déplacement à travers l’espace, le rallongement de la vie et l’éveil spirituel, faisant d’elle le bien le plus précieux et convoité de l’univers. Avec l’aide du peuple des Harkonniens, l’empereur développe un stratagème géopolitique pour non seulement débarrasser de la planète désertique son ennemi, les Atréides, mais aussi pour étendre davantage son contrôle.
Il est annoncé au début du film que Paul (Kyle MacLachlan), le fils aîné de la famille royale des Atréides et héros du film, serait voué à une destinée dont le rôle menacerait le pouvoir de l’empereur et mènerait à l’échec sa ruse. Le complot se met alors en place et, dans une tentative d’assassiner le fils, c’est finalement le paternel, le duc Leto Atréides (Jürgen Prochnow), qui en devient la victime. À l’insu de la nouvelle autorité en place, Paul et sa mère (Francesca Annis) survivent et se réfugient sur la planète aride de l’épice miraculeuse. Rapidement, le duo est admiré par le peuple des Fremen et la destinée présumée de Paul s’avère juste. Il est le « Kwisatz Haderach », le nouveau messie de Dune et protecteur de l’épice. Celui que le peuple nomade est déterminé à suivre. Paul devient également chevaucheur des « Shai-Halud », des verres géants avec lesquels il semble entretenir une étrange connexion, presque de l’ordre du divin. Alerté par une résistance insoupçonnée des nomades qui ont à leur tête le fils ressuscité, l’empereur amorce le dénouement du film en les engageant sur leur propre terrain. S’en suit une lutte épique, prophétique.
Considérable récit initiatique, ce film n’a toutefois pas fait ses preuves. Même si la série de six livres de Frank Herbert fut un énorme succès, étant même considérée par ses pairs comme l’un des récits contemporains de science-fiction les plus influents, l’adaptation de Lynch n’a pas été perçue de la même manière. Sorti seulement un an après le triomphe de Return of the Jedi (1983), le troisième opus de la trilogie originale de Star Wars, Dune aurait peut-être échoué notamment à répondre aux attentes des spectateurs de l’époque qui recherchaient possiblement une nouvelle saga, un nouveau « space opera ».
Ajoutant à ce contexte difficile, le fim souffrirait surtout d’un mauvais choix de direction de la part du réalisateur pour adapter le récit à l’écran et d’une certaine pression émise par l’équipe de production. Même si dans les plus récentes entrevues, avec une certaine humilité, David Lynch semble se blâmer pour les erreurs du film, il a longtemps mis la faute sur les contraintes exigées par les producteurs. Le cinéaste détient un style particulier qui a inspiré l’adjectif « lynchien » pour décrire toute œuvre médiatique détenant les éléments spécifiques de ses films. Entre autres, ce sont des personnages souvent déformés qui sont présentés, évoluant dans des contextes parfois industriels, mais toujours surréalistes et surnaturels. Il y a également l’emploi des thèmes de la magie et du rêve dans une diégèse toujours ouverte à interprétation. Les classiques tels que Eraserhead (1977), Elephant Man (1980), Blue Velvet (1986) et Mulholland Drive (2001) ont toujours été de petits projets dont les budgets alloués étaient souvent très faibles comparés à de plus grosses productions hollywoodiennes. David Lynch détenait le contrôle absolu sur le processus de réalisation de ses films, car il en était le créateur.
Pour Dune, il ne détenait pas le « final cut » et n’avait donc pas la liberté de diriger le film à sa manière. Le budget était fixé à un énorme 40 millions de dollars (en 1984) pour des effets spéciaux qui n’étaient pas si spectaculaires, considérant l’innovation des géants du domaine, sortis bien avant, tels que 2001: A Space Odyssey (1968), Star Wars (1977, 1980 et 1983) et Alien (1979). Initialement, Lynch souhaitait réaliser un Dune de trois heures au lieu des 2 heures 17 minutes actuelles prescrites par la production. De cette restriction résulte un film dont la durée ne permet définitivement pas au matériel source de se développer correctement. Il en ressort des scènes et des transitions étrangement rapiécées, puis des montages qui brusquent le développement des personnages. Le tout, sans compter l’usage perturbant et totalement inutile de monologues internes des protagonistes tout au long du film pour apparemment mieux expliquer des scènes qui sont pourtant déjà évidentes.
Très complexes, la mythologie d’Herbert et les relations qu’entretiennent les personnages entre eux et envers leur environnement aride nécessitent essentiellement de s’y approfondir. Choisir la science-fiction comme genre littéraire ou cinématographique permet d’adresser et de commenter des problématiques spécifiques en faisant interagir le tout dans un cadre rationnel et accessible aux lecteurs ou aux spectateurs. Dans son livre, l’auteur se sert justement du cadre instauré par ce genre pour commenter et critiquer les tendances destructrices de la race humaine. Il alerte les lecteurs des dangers de désigner un individu en position d’autorité, notamment illustré par les convictions et actions de l’empereur tout puissant. En installant l’épopée dans un contexte temporel très lointain, l’écrivain prouve en quelque sorte que même dans huit mille ans, l’humain commettra possiblement toujours les mêmes erreurs. Que ce soit pour montrer la corruption du pouvoir, la trahison ou l’éternelle lutte des classes, Dune appose alors un miroir devant notre civilisation et y reflète ses défauts dans un contexte stérile.
L’adaptation de Lynch demeure un film dont les aspects techniques étaient déjà dépassés à sa sortie, ce qui les rend d’autant plus désuets aujourd’hui. Bien qu’il ait abordé certaines notions fondamentales du travail d’Herbert sur la représentation de la civilisation humaine dans les interactions entre les personnages du film, le réalisateur n’a pas réussi à profiter complètement du cadre de science-fiction qui lui aurait permis de présenter une mythologie plus complète. Un élément du film qui lui a été personnellement critiqué par l’auteur lui-même, est le choix de rendre surnaturelle la quête spirituelle de Paul. En effet, le messie de Dune dans le film se voit, entre autres, acquérir le pouvoir de faire tomber la pluie. Tandis que dans le livre, ce dernier est plutôt développé comme une critique de la figure du libérateur, une modernisation de Jésus de Nazareth sans les artifices surnaturels.
Le film a des défauts, mais il faut néanmoins se le remémorer ne serait-ce que pour sa valeur écologique. Frank Herbert fut un activiste environnemental pendant les années 1960 et 1970 et aurait même aidé à populariser le terme « écologie » en parlant d’« écologie planétaire » dans son livre. Il a également développé la culture des Fremen autour de la notion aujourd’hui appelée : permaculture (système agricole inspiré du fonctionnement de la nature consistant à cultiver les ressources naturelles sans endommager l’écosystème). Dès lors, Arrakis est une planète sans eau ni végétation poussant son peuple à faire usage de techniques écoresponsables de manière à extraire de l’eau potable à partir de l’humidité, tel que représenté dans le film par les « wind traps ».
N’incorporant pas dans son film le message anti-prophétique pourtant central dans le matériel littéraire source, Lynch fait tout de même vivre, à travers son adaptation de la culture des Fremen, le patrimoine écologique de l’auteur. Le long métrage est dans sa forme un récit typique de science-fiction d’anticipation. Malgré sa sécheresse, il se trouve dans les dynamiques de ses personnages torturés, une œuvre « lynchienne ». Livrant une épopée épique et souvent étrange, qui fait interagir une palette d’acteurs de haut niveau, incluant Patrick Stewart, Max Von Sydow, Brad Dourif, José Ferrer et Kyle MacLachlan, le film Dune de 1984 est certain de divertir tout en offrant un certain aperçu de notre avenir.
Bande annonce :
Durée : 2h17
Crédit photos : Universal Pictures
Ebert, R. (1984, 1er janvier). Dune. Roger Ebert.com.
Kratz, V. (2020, 24 avril). Frank Herbert’s Ecology and the Science of Soil Conservation. Niche.
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