DOPESICK – saison 1, États-Unis, 2021
Où voir ça : Disney+
Production : John Goldwyn Productions, 20th Century Fox Television, Littlefield Company, Touchstone Television
Créée par Danny Strong
Scénario : Danny Strong, Beth Macy, Benjamin Rubin, Jessica Mecklenburg, Eoghan O’Donnell
Réalisation : Michael Cuesta, Barry Levinson, Patricia Riggen, Danny Strong
8 épisodes de 60 minutes
Entre 1999 et 2019, près de 500 000 Américains sont morts des suites d’une overdose causée par la consommation d’opioïdes. Le CDC (Center for Disease Control) parle de trois grandes vagues d’overdoses, une crise initiée dans les années 90 avec l’augmentation de la prescription de médicaments à base d’opioïdes. Depuis 2010, c’est la consommation d’héroïne, et plus récemment, de fentanyl (de 20 à 40 fois plus puissant) qui tue le plus.
La minisérie Dopesick nous fait revivre en huit épisodes les années fatidiques de cette première vague aux origines d’une des plus grosses crises sanitaires de l’Amérique contemporaine. Créée par Danny Strong (Empire) et basée sur le livre Dopesick: Dealers, Doctors, and the Drug Company That Addicted America (2018) de la journaliste Beth Macy, la fiction frôle souvent le documentaire dans une narration complexe qui multiplie les sauts dans le temps et les protagonistes. Les points de vue s’entrecroisent et se confrontent avec force dans un récit aussi émouvant que glaçant.
Celui d’abord des docteurs et de leurs patients victimes d’une stratégie marketing féroce, savamment élaborée par la famille Sackler et leur compagnie Purdue Pharma pour augmenter les ventes de leur médicament ‘révolutionnaire’, l’Oxycontin (commercialisé dès 1996). On y suit le destin tragique du docteur Finnix (Michael Keaton), médecin au grand cœur qui exerce depuis toujours au sein d’une communauté minière de Virginie. Comme tant d’autres, il se laisse prendre au piège des arguments et fausses promesses des représentants de Purdue, et commence à prescrire de l’Oxycontin à ses patients souffrant de douleurs chroniques et accidentelles. La jeune et touchante Betsy (Kaitlyn Dever), suite à une blessure à la mine, est une des premières patientes et victimes du médicament miracle. C’est à travers ce personnage complètement fictif, mais à la résonance universelle qu’on assiste aux effets dévastateurs de ce produit supposé non addictif. Michael Keaton et Kaitlyn Dever livrent tous deux une performance exceptionnelle, hommage vibrant à toutes ces vies détruites par la dépendance.
Le contraste n’en est que plus frappant lorsqu’on explore les dynamiques internes de la famille Sackler, connue dès les années 60 pour son rôle dans l’explosion des ventes du Valium. C’est une stratégie marketing similaire à celle de son oncle que met en place Richard Sackler (Michael Stuhlbarg), une stratégie agressive fondée sur des déclarations pseudoscientifiques, appuyées par des sociétés médicales faussement indépendantes et surtout, portées par une armée de représentants sans scrupules qui envahissent les cabinets médicaux de docteurs souvent bien intentionnés, parfois moins. On observe avec consternation l’évolution de leur rhétorique mensongère, avec la complicité des autorités régulatrices qui semblent marcher main dans la main avec Purdue, l’augmentation des doses alors même que les effets fortement addictifs de la drogue sont de plus en plus évidents. Richard Sackler est présenté comme un homme asocial et apathique, une sorte de génie du marketing qui n’hésite pas à appeler directement ses représentants pour leur dire de surtout, vendre toujours plus.
Enfin, et c’est sans doute le plus frustrant, on assiste au combat acharné de héros de l’ombre, bien réels cette fois, qui ont tenté pendant des années de faire condamner Purdue et les membres de la famille Sackler. Peter Sarsgaard et John Hoogenakker interprètent respectivement les assistants du procureur Rick Mountcastle et Randy Ramseyer qui travaillent sans relâche à dénicher la moindre petite faille légale face à une armée d’avocats et à de multiples pressions gouvernementales. Ils parviendront, en 2007, à obtenir un plea agreement mais les charges criminelles, demandées par le procureur, n’aboutiront pas.
L’histoire ne s’arrête pas là : avec plus de 3 000 plaintes civiles en cours, Purdue a plaidé coupable en 2019 et accepté de payer un montant record de 4,5 milliards de dollars, tout en déclarant faillite – un plan proposé par la compagnie elle-même en échange d’une immunité assurée pour tous les membres de la famille. Fin décembre 2021, ce plan a été invalidé par une juge fédérale, car il ne permettait pas aux victimes de la crise de poursuivre la famille Sackler – pour certains, l’accord proposé par Purdue ne respecte tout simplement pas la Constitution américaine. Une affaire qui n’est pas prête de se terminer…
Dopesick peut parfois nous donner du fil à retordre avec sa chronologie souvent floue, son abondance d’informations et son ambition du détail ; mais que demander d’autre d’une série qui veut nous donner toutes les clés de compréhension de ce scandale sanitaire, symptôme d’un système capitaliste où tout est permis à ceux qui osent le plus, peu importe les conséquences de leur enrichissement.
Bande-annonce originale anglaise :
Crédits photos : hulu et Disney+