Desde allá [From Afar]: Le serviteur et le témoin

Production mexico-vénézuélienne, 2015

Note:

Lauréat cette année du Lion d’Or à Venise, le Vénézuélien Lorenzo Vigas signe un premier film à l’identité forte et inspirée. On y suit Armando (Alfredo Castro), la cinquantaine, qui furète dans les rues de Caracas à la recherche de jeunes hommes prêts à étancher sa soif de désir. Il y fera la rencontre d’Elder (Luis Silva), un garçon sauvage qui tend à être apprivoisé. Ensemble, ils vivront des échanges tumultueux qui les amèneront à outrepasser leurs convictions les plus profondes.

Ici, les favelas de la capitale grouillent de monde en permanence et offrent des perspectives limitées qui suintent une incoercible pauvreté. Une réalité, partie intégrante du quotidien d’Eider, qui vagabonde mais le regard toujours fixe, jamais hagard. À l’occasion, il répare des voitures à son image, abîmées par la vie. Armando, qui a bien saisi les faiblesses d’une société à la dérive, profite de son statut de nanti (prothésiste dentaire) pour l’appâter et rassasier son appétit. Il n’a généralement pas de mal à découvrir les garçons contre une rémunération, souvent généreuse. La simple vision de corps dénudés suffit à lui procurer une jouissance sans qu’aucun contact physique ne soit requis. Les plans rapprochés de corps floutés et hachés par l’image évoquent alors très bien ses fantasmes.

Les Amants de Caracas : Photo
Copyright Alexandra Bas

Écrit par Guillermo Arriaga (21 Grammes, Trois Enterrements), le scénario s’inspire, mais librement, de l’univers du dramaturge britannique Harold Pinter à l’ambigüité très prononcée. Les convenances sociales volent en éclat dans cet échange passif-agressif qui se crée où le bourreau va devenir la victime qui n’est pas toujours celui que l’on pense. C’est alors dans l’espace clos de son appartement (où tout est rangé avec méticulosité) que le quinquagénaire, vivant dans ses retranchements, va pouvoir user de tactique pour dominer physiquement, psychologiquement et sexuellement sa proie. On pense à The Servant de Joseph Losey (écrit par Pinter lui-même) dans lequel Dirk Bogarde incarnait à la perfection un homme au caractère imprévisible masquant les failles d’une identité trouble.

Dans ce film-ci,  le sentiment de solitude qui habite Armando (canapé vide, photos souvenirs) est exacerbé par le caractère violent de ses échanges avec Elder. Plutôt récalcitrant au début, c’est une petite frappe au caractère bien trempé qui le vole, le défie du regard et le cogne à leur première rencontre. Laissé par terre, inconscient, le prédateur se relève et commence, dès les jours suivants, à traquer sa proie, exerçant sur elle une domination qu’elle ne soupçonne même pas.

Au moment où Elder repassera le seuil de sa porte, le piège se refermera lentement sur lui. Il finira par baisser sa garde et ainsi naîtra en lui un besoin que le vieil homme comblera en le recueillant comme un animal blessé. Au premier abord, sûr de lui, c’est un être tout en force et virulence qui se bat à tort et à travers. Pourtant, il s’abandonnera dans la passion à en perdre la raison et embrassera Armando qui réprimera ses pulsions incontrôlées le soumettant, comme un esclave, à ses envies maladives. Le jeune initié sera lui-même le premier étonné de ces nouvelles émotions avec lesquelles il devra composer. Il interagira maladroitement à l’image de cette scène où son mentor lui tombe dans les bras et qu’éclôt à son égard un désir latent. Le sauvetage en mer dans Les Témoins de Téchiné, qui provoque un rapprochement physique impromptu entre deux personnages, témoigne du même bouillonnement intérieur.

Les Amants de Caracas : Photo Alfredo Castro, Luis Silva
Copyright Alexandra Bas

Sous ses apparats de thriller équivoque, Desde allá est avant tout le portrait d’une génération esseulée qui cherche maladroitement dans des rencontres de fortune une échappatoire à ses interrogations. Dès le début du film, Lorenzo Vigas amorce les prémisses de la rencontre passionnelle entre deux hommes, du titre (à partir de là) au premier plan, où Armando se questionne sur le chemin à prendre par l’image scindée en deux. C’est aussi la lente déchéance d’Elder qui se découvrira et s’abandonnera à un être profondément seul et dans l’incapacité d’aimer. Une phrase de Jeanne Labrune (Si je t’aime prends garde à toi) résonne alors en nous: “Toutes les passions ont une fin, mais malgré la douleur, cette fin n’est jamais que la promesse d’un avenir”. Force est de constater que le réalisateur filme le désir dans ses recoins les plus sombres et inquiétants avec une étrange poésie qui séduit par son audace et son impudence.

Durée: 1h33

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