Canada, 2022
★★★ ½
Viggo Mortensen dit lors de l’avant-première, qui a eu lieu au Cinéma du Musée, que la confiance et la profondeur de sa relation avec David Cronenberg sont importantes pour que les répliques dans le scénario trouvent sens et prennent vie. Crimes of the Future arrive à honorer ces mots. Après un hiatus de huit ans, le cinéaste revient en force dans son élément primitif des métamorphoses, évoquant des œuvres telles que The Fly et eXistenZ. Bien qu’ils aient collaboré à plusieurs reprises, notamment dans A History of Violence et Eastern Promises, il s’agit de la première fois que Cronenberg ramène Viggo avec lui à ses racines. Avec Léa Seydoux et Kristen Stewart, y livrant une performance des plus mémorables, ces acteurs donnent vie à un scénario qui repose dans le four du réalisateur depuis 15 ans, lui-même incertain de vouloir le concrétiser sur grand écran.
À force de dialogues, Cronenberg assoit un univers quelque peu futuriste où l’évolution humaine avance à un rythme fulgurant et où la capacité à ressentir la douleur s’est presque entièrement éteinte. Cette transformation a un effet des plus profonds (socialement déjà) sur la société. L’absence de souffrance physique blase le monde, accentue le besoin de stimulations et conditionne des pratiques toujours plus violentes. Dans les quartiers défavorisés, on peut voir des gens se couper mutuellement dans les ruelles. Avoir mal devient le nouveau tabou social, le nouveau sexe.
Dans ce monde décadent, Saul Tenser (Viggo Mortensen) a la capacité de générer de nouveaux organes. Lui et sa partenaire d’affaire Caprice (Léa Seydoux) montent un spectacle dans lequel le nouvel organe en question se fait tatouer sous la peau, puis retirer chirurgicalement devant une foule.
Un autre pan de l’intrigue implique une mutation permettant aux gens de se nourrir de plastique et de matériaux courants dans une société de surconsommation. Une organisation écoterroriste se cache derrière cette transformation forcée qui rendrait nos civilisations beaucoup plus vertes et autosuffisantes. Pourtant innovatrice, cette idée est rejetée par la masse. La question de ce qui définit l’humanité est au cœur de l’histoire. Saul perçoit son talent et ce qu’il en fait comme des gestes de rébellion contre son corps et de refus de l’évolution humaine. Le spectacle au service d’une vision conservatrice de notre espèce prédomine donc sur l’importance d’assurer notre survie et notre symbiose avec l’environnement.
L’intrigue de Crimes of the Future se construit à partir d’éléments très concrets et sans aucune subtilité, ceux-ci permettant d’explorer les implications sociales, culturelles et métaphysiques de son univers. Entre autres, le film propose une réflexion sur l’art. La plupart des monstrations artistiques impliquent généralement l’exposition du for intérieur de l’artiste. Ici, cela est fait de façon concrète. Saul s’ouvre physiquement devant son public et laisse littéralement une partie de lui-même dans chacune de ses créations.
Afin de se sentir aussi vivants que possible, les personnages engourdis de Crimes of the Future semblent perpétuellement chercher l’inconfort. Cette notion donne une bienséance aux technologies organiques propres à l’univers de David Cronenberg. Des lits et des chaises constamment en mouvement produisent des craquements stridents et nuisent à la posture ou aux actions des personnages. Viggo Mortensen offre une performance gutturale, soutenue par une conception sonore primitive concentrée sur le raclage et les bruits de gorge tout en donnant des textures osseuses aux objets. Le cinéaste renoue également avec Howard Shore qui livre une bande sonore mémorable, trouvant le compromis entre bizarrerie et désolation.
Crimes of the Future teste de nombreuses limites. Celles de l’exposition basée sur le dialogue, la limite de ce que l’on peut montrer (considérant que le film comporte de la nudité infantile dans le contexte d’une autopsie), mais aussi les limites de la tension entre un univers aux apparences absurdes et le sérieux de l’approche esthétique. Alors que ce monde semble si étranger au premier abord, il est surprenant de constater à quel point David Cronenberg arrive à se montrer convaincant et à faire adhérer à des propos qui rendent l’histoire toujours plus vraie et ses implications plus profondes.
Bande-annonce :
Durée : 1h47
Crédit photos : Sphères Films
Le film a été présenté en avant-première au Cinéma du Musée le 31 mai 2022 en présence de David Cronenberg, Viggo Mortensen, Scott Speedman et Robert Lantos.