Pologne, France, Royaume-Uni, 2018
Note: ★★★ 1/2
Après avoir remporté l’Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2015 avec Ida, drame en noir et blanc dans lequel une jeune orpheline élevée dans un couvent partait découvrir des secrets de son passé familial avant de prononcer ses vœux, l’acclamé réalisateur polonais Pawel Pawlikowski rafle cette fois le prix de la mise en scène au Festival de Cannes avec Cold War. Toujours avec la même esthétique du noir et blanc, il raconte cette fois, sur une période de quinze ans durant la guerre froide, une histoire d’amour, inspirée de celle de ses propres parents, entre deux passionnés de musique dont l’union s’avère impossible.
Ce nouveau prix, remporté au dernier Festival de Cannes, est amplement mérité. La réalisation de Pawlikowski, d’une élégance et d’une grâce éblouissantes, témoigne d’une maîtrise peu commune. La précision du grain de ses images d’un noir et blanc paradoxalement très lumineux, présenté à travers des cadrages minutieux, crée des images riches et épurées à la fois, et surtout très évocatrices.
Dans ce film d’assez peu de mots, Pawlikowski fait surtout parler ses images. Ses plans larges sont parfaitement photographiés, minutieux, précis aux détails prêts, et arrivent à en dire long sur le climat social et politique de l’époque. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il filme de loin la chorale folklorique dans laquelle chante Zula et que Wiktor dirige et que tombe un grand drapeau de Staline en arrière-plan, signe du pouvoir totalitaire régnant à l’époque, qui s’empare du milieu artistique et le corrompt pour en faire un outil de propagande. On retrouve la même force évocatrice des images quand, toujours en plan large, on voit dans la foule enthousiaste qui assiste à ce spectacle à la gloire de Staline, un regard mécontent, celui d’une femme, d’une artiste, collaboratrice de Wiktor, qui s’indigne de cette corruption de son art.
Et puis, les images se resserrent, sentiment exacerbé par le format carré (1:33) de l’image, lors des scènes d’intimité, les scènes d’amour. Dans des plans serrés, proches des personnages, les images de Pawlikowski sont maintenant très sensuelles. Les visages magnétiques du duo d’acteurs formé par Joanna Kulig et Tomasz Kot, leurs expressions, traduisent la passion amoureuse qui les anime, beaucoup plus que leurs mots ne le pourraient.
L’une des grandes forces de Pawel Pawlikowski avec ce Cold War est justement de faire cohabiter le micro et le macro, l’histoire d’amour de ce directeur musical et de cette jeune chanteuse, et le contexte politique européen complexe de la guerre froide, le tout avec beaucoup d’agilité. Son film est d’une grande efficacité au point de vue narratif du fait qu’il ne fait pas évoluer ces deux dimensions l’une en parallèle à l’autre, mais plutôt en les agençant l’une avec l’autre de manière tragique et inévitable. Leur amour est impossible en raison du climat politique et social et de leur tempérament respectif. Leurs perceptions du contexte sont incompatibles : l’attachement au pays de madame s’oppose au désir de liberté de monsieur. Et ces quinze ans d’amour et de complexité historique, sociale et politique sont racontés en moins d’une heure trente.
La virtuosité, tant narrative que formelle, du cinéaste n’amène étrangement pas que du bon. La quasi-perfection visuelle, la plasticité de ses images, confère une certaine dimension superficielle au produit final qui paraît presque trop fabriqué, maîtrisé. L’énergie qui pourrait s’en dégager est trop encadrée et limite ainsi l’engagement émotif. Et puis les ellipses de la narration produisent un peu le même effet. Si elles permettent de raconter efficacement une longue histoire en peu de temps, elles font perdre quelques développements psychologiques des personnages qui permettraient une plus forte identification. Elles créent des segments trop courts pour laisser le temps au spectateur de comprendre les raisons d’un amour si passionnel, autant dans sa genèse que dans ses développements. L’histoire d’amour s’en trouve ainsi moins touchante.
Malgré cette réserve, le nouveau film de Pawel Pawlikowski mérite tout de même amplement d’être découvert, ne serait-ce que pour le voyage dans lequel il nous convie, beau et fascinant, au travers des lieux et des époques, le tout enveloppé dans cette trame musicale qui revient constamment, que ce soit les chants populaires folkloriques polonais ou le jazz et le rock’n’roll d’un Paris bohème.
Durée: 1h28
Ce film a été vu dans le cadre du Festival Cinémania.