Cette maison : Une porte entrouverte sur l’avenir

Canada, 2022
Note : ★★★1/2

Fier récipiendaire du prix de l’innovation Daniel Langlois à la soirée de clôture du FNC, Cette maison n’a pas démérité son trophée qui récompense l’utilisation de nouvelles technologies, l’audace esthétique et créative dans le traitement d’un sujet sensible. Pour son premier long-métrage, Miryam Charles réalise une œuvre singulière sous la forme d’un essai documentaire révélant, dans une biographie chimérique, le meurtre de sa cousine qui convoque davantage l’âpreté que le velours du passé. Pourtant, malgré son douloureux sujet, la réalisatrice parvient à instiller au film un doux parfum d’espoir, à l’image de ces vents alizés soufflant sur la mer qui déferle et balaie le rivage haïtien.

Cette maison (This House) - La Distributrice de films

Bridgeport, États-Unis. Le 17 janvier 2008, la jeune Terra Alexis Wallace (Schelby Jean-Baptiste) est retrouvée pendue dans sa chambre à seulement 13 ans. Alors que tout laisse présager un suicide, le rapport d’autopsie, lui, révèle des traces de strangulation et la preuve irréfutable que des actes sexuels ont été violemment perpétrés sur son corps d’adolescente. Quelques années plus tard, décidée à mettre en lumière la vérité et à rendre hommage à sa cousine autant qu’à sa tante Lourdes (Florence Blain Mbaye), Miryam Charles crée un poème visuel fort qui bouscule et stimule nos sens, en imaginant de manière graphique le dialogue improbable entre une mère et son défunt enfant.

Habité par une musique chantée en créole, le film s’ouvre en Haïti sur la beauté d’une nature encore vierge, protégée de l’empreinte de l’homme. Puis, on se retrouve sur les routes nord-américaines où, par le biais d’un travelling latéral, les maisons défilent sous la grisaille de l’hiver, comme défilent les photos d’un diaporama sans charme. Empreinte de pudicité, la voix de la narratrice se fait entendre, discrètement, avec une retenue confondante. Tout juste un son, à peine perceptible, s’échappe de ce corps qui s’évertue à trouver un second souffle pour contrer son affliction. En ce sens, le film révèle un univers sensoriel dépouillé et soigné, grâce à un travail minutieux, capable de nous faire entendre la respiration de Lourdes qui tente de la contrôler pour contenir sa propre souffrance. Nombreux sont les bruits sourds, les bruits lourds, à l’instar de cette scène où le son est coupé, comme le souffle de cette mère désemparée dont le déchirement du cœur est causé par la vision du corps de son enfant décédée.

Née à Stamford, Connecticut. Quatre mots entendus dès le début du film. Quatre mots qui reviendront tout au long de l’œuvre, répétés inlassablement, encore et encore, dans une tentative salutaire de la mère à vouloir se persuader que sa fille a bel et bien existé. Une itération illustrant parfaitement le sentiment d’iniquité éprouvé par les proches de la victime qui n’ont ni de prise sur le temps passé, ni sur celui à venir. Tel un disque rayé martelant à bien des Noirs l’injuste probabilité d’avoir à creuser plus de tombes que leur propre sillon en toute probité.

Cette maison (This House) - La Distributrice de films

De fait, la réalisatrice réfute la violence de la mort et propose une ode à la vie, parsemée d’échanges fictifs entre Terra et Lourdes pour pallier le manque ressenti, dix ans après la tragédie. La mise en scène dépouillée, presque théâtrale, lui permet de resserrer l’intrigue sur l’essentiel à l’aide de mises en abyme travaillées (personnages devant une toile photo de la nature). Verbeuse sans jamais être pompeuse, elle alterne dialogues, monologues et l’utilisation du spoken word. Cette technique singulière d’oralisation d’un texte par la musique, le théâtre ou encore la danse, puise sa force dans les traditions jazz, soul et blues de la beat generation, un mouvement littéraire et artistique qui tire son nom d’une expression employée par des jazzmen noirs en référence à la pauvreté.

Ayiti mwen

À juste titre, il faut noter le parti de la réalisatrice à vouloir ancrer son film dans la culture noire. Elle questionne habilement l’appartenance à notre lieu de naissance, jusqu’au point culminant où le corps de la jeune fille disparue, dans une surimpression bien sentie, se mêle à un rocher en Haïti pour ne faire qu’un. Ayiti en langue créole. Terre de ses ancêtres, terre qui l’a vue naître. Peu importe la distance que l’on met entre nous et notre pays d’origine, on finit toujours par se raccrocher à nos racines. Ayiti, un ailleurs où tout est possible. Un retour vers la mère patrie, un retour vers un futur plus clément et apaisé, en opposition à l’horreur des images du corps retrouvé. S’entrecroisent alors passé, présent et futur, dans cette reconstitution qui cultive un mystère doté de fantaisies et de traditions (préparation du poulet) où plus rien ne semble sûr.

Cette maison (This House) - La Distributrice de films

C’est pourquoi Lourdes cherche à se rassurer, dans cette grande maison inhabitée, presque dépourvue de mobilier où elle se plait à cultiver son jardin secret. Dans la chambre surannée de sa fillette qui n’a pas bougé d’un iota, elle continue de visiter les fantômes du passé en refaisant, jour après jour, les mêmes gestes qu’elles apposaient avant le drame, comme si ces actions allaient lui permettre de trouver la clef en mesure de libérer son cœur et sa tête de toute culpabilité. Et si elle était rentrée plus tôt de l’école, et si… Elle transfère et focusse alors son attention sur l’espace sécuritaire qu’elle s’est créée dans le salon où se mêle une végétation luxuriante composée d’hibiscus, d’oiseaux de paradis, de fougères ou encore de jasmin et d’orchidées. Voir les plantes grandir et flétrir, c’est pour elle une manière de se confronter à l’inéluctabilité du cycle de la vie et accepter le fait qu’il puisse parfois être écourté.

Il y a quelque chose de viscéral dans le cinéma de Miryam Charles, quelque chose d’intime et de profond que le corps a besoin d’expulser en réponse à la barbarie de l’acte perpétré. C’est tout un voyage qu’elle nous propose, invitant le spectateur à réfléchir sur les notions de deuil et de mémoire. Entre documentaire expérimental et poésie onirique, elle collecte une série de souvenirs, chargés de symboles s’imbriquant à un univers fantasmagorique au grain pixélisé qui s’attarde à redéfinir le réel, du Québec en Haïti, jusqu’aux États-Unis. Cette maison favorise l’écoute active et la bienveillance des mots, comme des silences, nourris par ce désir et cette volonté à vouloir scruter l’authenticité chez l’homme et dans cette maison. Diligemment, le vide du foyer en décrépitude fait écho à celui vécu par la maman. Un vide qui souligne sa solitude et son désarroi. Un vide que le temps n’a eu de cesse de creuser, seconde après seconde, année après année. Le temps passe et jamais ne remplace ceux qui partent trop tôt, laissant derrière eux une indéfectible trace.

Terra Alexis Wallace 26 Décembre 1994 – 17 Janvier 2008

Bande-annonce :

Durée : 1h14
Crédit photos: Isabelle Stachtchenko/Miryam Charles

Ce film a été vu dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma.

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