Jeudi 21 septembre, Cédric Klapisch était de passage à Montréal pour la sortie de son dernier film Retour en Bourgogne.
Pour son douzième métrage, Cédric Klapisch a choisi comme toile de fond la région bourguignonne où il transpose élégamment, de la ville à la campagne, un univers mâtiné de mélancolie, de rires et de légèreté. Après la trilogie sur les tribulations de Xavier (L’auberge espagnole/Les poupées russes/Le casse-tête chinois), il nous a confié en entrevue chercher une rupture. Son désir de filmer les vignes a promptement fait écho à son questionnement sûr l’accointance entre frères et sœurs et leur héritage émotionnel. Selon lui, le vin permet le partage, il est fédérateur et invite au voyage, un leitmotiv dans sa filmographie.
La Bourgogne s’est alors imposée d’elle-même aux vues des exploitations viticoles a fortiori plus petites que dans le Bordelais très industrialisé, ce qui allait à l’encontre de la thématique du film et des liens familiaux. De plus, le réalisateur connaissait bien Jean-Marc Roulot, un viticulteur de la région rencontré sur son premier film, Riens du tout, en 1991. Il s’est ainsi alloué ses services au scénario, sur le plan technique, afin de rendre compte du réalisme du monde agricole (Roulot tient même un second rôle dans cet opus).
Changement de décor donc, mais aussi changement de casting. Pas de têtes connues dans l’univers klapischien si ce n’est une apparition rassurante (?) de Zinedine Soualem (coupée au montage), figure emblématique de son cinéma depuis les débuts. Dans les rôles principaux de cette nouvelle distribution, on retrouve Pio Marmaï (Le premier jour du reste de ta vie) avec qui le réalisateur souhaitait travailler depuis un moment et Ana Girardot (Un homme idéal). Il lui avait fait passer une audition pour Ma part du gâteau mais elle correspondra mieux au futur rôle de Juliette. Quant à François Civil, déjà vu dans Made in France, il venait de faire sa connaissance sur la série 10 pour cent dont il réalise quelques épisodes. Dès leur première rencontre, le metteur en scène ne cache pas la complicité palpable qui s’est installée entre les 3 acteurs. Il faut dire que l’accueil chaleureux et arrosé des habitants du coin a beaucoup contribué à leur proximité.
En abordant la filmographie du cinéaste on en vient à parler de ses thèmes de prédilection, révélateurs de l’inconscient selon lui. Souvent, les personnages de ses films vivent dans une solitude absolue pour finalement trouver une forme de plénitude dans la vie à deux (Juliette Binoche et Albert Dupontel dans Paris, entre autres). Dans son questionnement sur la manière dont les différences entre individus fabriquent un groupe, le couple apparait alors comme une figure de proue vers la collectivité. « N’importe quel couple, c’est apprendre le langage de l’autre » nous assure-t-il et ce, peu importe sa langue. C’est pourquoi une grande marge d’improvisation avait été laissée à Kelly Reilly (Wendy) et Romain Duris (Xavier) dans Les poupées russes pour tout ce qui avait trait aux scènes de ménage. Lorsque le ton montait, il n’était pas rare d’observer chez l’un comme chez l’autre un retour à sa langue maternelle. D’ailleurs on retrouve des similitudes dans son dernier film où Jean, marié à une Australienne, prend le temps d’inculquer le français à son fils.
Dans cette quête de transmission et du partage on sent chez Klapisch l’importance de la mixité culturelle et de l’identité nationale. Elles se retrouvent dans la musique de son fidèle compagnon Loïk Dury mais aussi dans ses couples de cinéma souvent bilingues (Xavier/Wendy et Jean/Alicia). À la sortie de Riens du tout, le réalisateur nous expliquait l’avancée d’au moins 30 ans que les États-Unis avaient sur la France, loin de l’époque où Sidney Poitier (Oscar du meilleur acteur en 1964) représentait à lui tout seul la communauté noire. Dans cette réalité à ses yeux arbitraire, il aime bousculer les idées préconçues et décide de les combattre indiciblement en faisant notamment gagner deux Noirs au marathon des Grandes Galeries de Paris. On est en 1992 et il y a peu d’occasions de voir une pareille chose, à part dans le sport. Ce n’est pas rien. Il faudra attendre le milieu des années 90 et la sortie de La Haine de Mathieu Kassovitz pour qu’une personne de couleur arrive à jouir d’une grosse visibilité en la présence de Hubert Koundé. Fuyant les pensées radicales et les propos binaires, Cédric Klapisch reste convaincu qu’il faut maintenir un discours appelant à la nuance. En aucun cas il ne ressent l’envie de militer comme a pu le faire Spike Lee et ce, peu importe la cause. Avec son dernier film il souhaite surtout montrer que les milieux ruraux peuvent offrir des valeurs ouvertes et représenter une France métissée, loin de la propagande malhonnête du Front National lors des dernières campagnes. Il fait alors jouer à l’actrice noire Karidja Touré (découverte dans Bandes de filles) le rôle d’une vendangeuse originaire du Finistère. C’est grâce à ces petits détails du quotidien que le cinéma klapischien a bâti sa force, entre prise de conscience et humour bien senti.
S’il apparaît comme un éternel optimiste, Cédric Klapisch nous assure ne pas en être un. Il se décrit plus comme « un mélancolique avec un fond pessimiste ». Pour lui, « la vie c’est croire en demain ». Ses parents étaient psychologues et son expérience personnelle l’a convaincu du bien-fondé de la parole. La psychanalyse sauve des gens grâce à l’échange qui selon lui est une des fonctions du cinéma. Il faut avertir. « Avertir, c’est prévenir les gens à plusieurs niveaux ». Quand il était gamin, on racontait que la masturbation rendait sourd et pendant des décennies certains enfants l’ont cru malgré l’absurde de la chose. On disait aussi que l’homosexualité était une maladie. « Il ne faut pas diaboliser mais dire la vérité ».
Son prochain film ? Une grosse comédie, nous dit-il. Gageons qu’elle suive le sillon emprunté par ses œuvres précédentes dans l’authenticité de ses engagements tournés vers l’avenir.