Carne y Arena : Bouleversante traversée du désert

Note : ★★★★

Arsenal Art Contemporain accueille, jusqu’au 20 juin prochain, l’installation de réalité virtuelle Carne y Arena, présentée par le Centre Phi et réalisée par Alejandro González Iñárritu. Issue d’une sensible démarche documentaire, l’expérience nous transporte à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. On assiste au périlleux voyage de demandeurs d’asile, la plupart venus d’Amérique Centrale, qui laissent tout derrière eux et traversent le désert à la recherche d’une vie meilleure. Le parcours est ingénieusement mis en scène, et surtout, profondément troublant.

Le Centre Phi, qui présente l’installation et qui assure sa tournée mondiale, n’a jamais voulu révéler trop d’images ou de détails sur l’expérience au préalable. Ils prétendent qu’il faut vivre Carne y Arena en personne, et se laisser surprendre sur place. Même quand on s’apprête à entrer, personne ne veut nous dire à quoi il faut s’attendre. Aujourd’hui, je comprends que l’attente en valait la peine.

En arrivant, on passe par un long corridor noir à peine éclairé. Puis, on nous guide vers une salle blanche et aseptisée, où il fait très froid. On apprend plus loin que cette pièce est inspirée de véritables installations frontalières américaines qu’on appelle des « congélateurs », où on entasse des migrants, parfois pendant des jours, afin de les placer en quarantaine. 

Il faut ensuite retirer ses chaussures, s’asseoir sur un banc métallique inconfortable et attendre qu’on nous appelle. L’attente est longue. Finalement, alors qu’on se demande si on nous a oubliés, on doit entrer dans la pièce suivante. On marche pieds nus, sur du sable, et on découvre, au centre, un casque de réalité virtuelle. C’est là qu’on entre au cœur de l’expérience.

Le film nous transporte directement dans le désert. On y côtoie des migrants qui se font repérer par des patrouilleurs américains. La détresse est palpable. Le rythme est très rapide. Des agents nous crient, en anglais et en espagnol, de leur donner nos papiers, de nous identifier, de nous agenouiller. Des hélicoptères passent au-dessus de nos têtes. Des enfants pleurent. Une jeune fille est blessée. Une vieille dame peine à rester en vie.

Si, réalité virtuelle (images de synthèse) oblige, les images ne s’avèrent pas toujours des plus réalistes et donnent parfois l’impression d’un jeu vidéo, l’expérience, dans son ensemble, ne l’est pas moins pour autant. Cela s’explique surtout par un impeccable mixage sonore, et des possibilités de mouvements presque infinies.

« Je voulais en finir avec la dictature de l’image au cinéma », a déjà dit Iñárritu, lors d’une conférence, en parlant de son projet. Le pari est réussi. Tous nos sens sont mis à l’épreuve. 

En sortant de la salle, on est appelé à connaître, individuellement, les migrants qui ont inspiré la pièce, à travers une dizaine de portraits mêlant textes et vidéo. Si l’expérience de VR nous sensibilise à la violence de leur parcours, leurs histoires, présentées par la suite, inspirent et impressionnent. Ces gens qui ont vécu l’enfer sont devenus médecins, professeurs, sportifs de haut niveau, etc. Impossible de rester indifférent.

L’innovation artistique à l’ère de la distanciation sociale

« Lorsque j’ai assisté à cette expérience à Cannes, j’ai tout de suite su que je devais l’amener à Montréal. Ce fut un véritable choc », raconte Myriam Achard, chef des partenariats et des relations publiques au Centre Phi.

Le projet d’Iñárritu est devenu la première expérience de réalité virtuelle à être présentée à Cannes, moins d’un an avant la pandémie. C’est là qu’Achard a convaincu Phi d’assurer la tournée mondiale du projet.

Alors que la première devait avoir lieu à Montréal, c’est finalement Denver, au Colorado, qui l’a reçue, puisque la ville américaine pouvait jouir de mesures sanitaires un peu moins contraignantes.

« On a optimisé l’expérience, à la fois pour qu’elle voyage bien, pour qu’elle soit vue par plus de monde, et pour qu’elle respecte la distanciation sociale », soutient Achard. En effet, il est seulement possible de vivre l’expérience individuellement. Au moins, plusieurs salles, donc plusieurs casques de réalité virtuelle, sont ouverts en même temps.

C’est probablement cette exclusivité (seulement quelques dizaines de personnes par jour peuvent prendre part à Carne y Arena), combinée à l’utilisation de technologies aussi avancées, qui explique le seul irritant de toute l’expérience : les billets coûtent entre 35 et 50$, selon l’heure et la journée. Même si la visite est impressionnante, cela demeure cher payé lorsqu’on fait le tour en trente minutes. 

Quand même, que ce soit pour découvrir des histoires inspirantes ou pour vivre une expérience intense à la fine pointe de la technologie, Carne y Arena en vaut la peine.

Crédit photos : Centre Phi / Sandra Larochelle

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