Birdman

Un plongeon réflexif fascinant et parfaitement exécuté. Un des meilleurs films de l’année. ♥♥♥♥½

Dans le coin gauche, Birdman, héro révolu d’une franchise de superhéros qui n’existe plus que dans l’imaginaire collectif. Dans le coin droit, Riggan Thomson, acteur sur le déclin qui tente de se (re?)faire une crédibilité artistique en adaptant et tenant le rôle principale d’une pièce de  Raymond Carver sur les planches de Broadway. Au centre de cette lutte infinie entre l’apparent populisme et le pseudo intellectualisme, Michael Keaton, qui se bat comme un beau diable, à cheval sur une ligne imaginaire et inventée que plus personne ne veut franchir.

Au-delà de l’apparent clin d’œil à l’acteur principal et sa propre carrière avec le personnage qu’il interprète dans Birdman, les thématiques utilisées sont judicieuses. L’ensemble se veut indubitablement une réflexion sur le théâtre et le cinéma, l’apparente dualité irréconciliable comme la complémentarité qui existe entre les deux. Quasi huit-clos dans le lieu sacré du théâtre, filmé en illusion de plans-séquences (raboutés délibérément maladroitement pour donner l’illusion d’un seul plan malgré plusieurs jours), Inarritu rend hommage à l’acteur à l’aide de la manière dépouillée du théâtre, mais magique du cinéma. Les longs-plans séquences fluides laissent toute la place au talent des acteurs de cinéma, se retrouvant avec des longues séquences de dialogues ininterrompues.

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Loin d’être l’exposition de prouesses techniques, ces plans séquences sont en fait au service des acteurs. Les timelapse maladroits, les fausses ellipses et les travelling impossibles ne sont pas camouflés ; ils ne viennent que démontrer qu’à l’ère du numérique, où tout un chacun peut trafiquer sa façon de mettre en scène, le rôle de l’acteur n’en n’est que plus pure, plus essentiel, plus vitale. Le subterfuge de l’acteur doit frôler la perfection pour être crédible alors qu’il n’a pas à sa disposition tous les outils du metteur en scène pour trafiquer la réalité. Inarritu lui redonne la place qu’il lui est dû dans un art où le réalisateur prend toute la place et où l’acteur est parfois relégué aux oubliettes, spécialement dans les milieux intellectuels, si chères au théâtre où l’acteur est encore roi.

Avec une délicatesse et une sensibilité surprenante face à ses acteurs qui semblent représenter chacun une facette de leur profession, Inarritu s’efface et leur laisse le champ libre, sa mise en scène ne faisant que rappeler leur talent de transformation. Le résultat est encore plus foudroyant qu’Holy Motors, dont l’hermétisme gardait le spectateur trop en retrait, alors qu’ Inarritu invite simplement le spectateur à pénétrer dans cet univers singulier.

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L’atmosphère qu’il crée est tout simplement géniale et c’est là où réside le génie de son film, bien plus que dans sa maitrise technique. Le passé de superhéro du protagoniste sert de prétexte à l’exposition de délires fantastiques surréalistes savoureux qui garde le spectateur émerveillé et accentue le processus réflexif au possible. La partition sonore, largement intradiégétique via le jeu de batterie légendaire (le mot est faible) d’Antonio Sanchez est d’un psychédélisme dès plus inquiétants et mérite un oscar sans détour. La fracture entre les moments glauques et inquiétants et les moments plus légers n’en est que plus percutante.

Inarritu, loin de glorifier le théâtre ou répudier les superproductions, invites au dialogue entre les deux arts éternellement mise en opposition (avec ou contre leur gré) via également un sous titre savoureusement ironique (le titre officiel étant Birdman : or (The Unexpected Virtue of Ignorance)). Le spectateur y découvrira plus de similitudes qu’il n’y croirait, que ce soit via les producteurs peu scrupuleux ou les critiques impitoyables. Au final, il reste un film sans prétention, mais furieusement maîtrisé et réfléchi, qui risque de se retrouver au sommet de bon nombre de listes de fin d’année.

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