Appartenir à san francisco?

États-Unis, 2019
Note: ★★★ 1/2

 

Le nouveau venu dans le cinéma indépendant américain, Joe Talbot, réalise un premier film ambitieux sur le plan visuel de même que sur le plan thématique. Peu de cinéastes américains s’appuient à ce point sur le visuel sans compromettre le narratif. Talbot et son équipe y arrivent bien, ce qui fait de The Last Black Man in San Francisco un film qui mérite notre attention. La compagnie de production A24 continue sa domination en termes de nouvelles voix cinématographiques originales.

Jonathan Majors et Jimmie Fails dans The Last Black Man in San Francisco | Crédit : A24

Jimmie Fails (interprété par l’acteur Jimmie Fails) vit à San Francisco sur le plancher de son ami Montgomery (Jonathan Majors) qui lui habite chez son père (interprété par Danny Glover). Son temps se divise entre son emploi comme préposé aux bénéficiaires dans une maison pour personnes âgées, regarder des films avec ses deux hébergeurs et s’occuper, au grand dam des propriétaires, de l’entretien non sollicité d’une maison sur le Golden Gate Boulevard. Jimmie est obsédé par celle-ci parce qu’elle aurait été construite par son grand-père en 1946. Lorsque ses propriétaires quittent la maison à la suite de la mort d’un membre de leur famille, ils laissent la maison inhabitée. Jimmie y emménagera. Suivra une suite de révélations et de réactions en lien avec cette décision qui fera questionner tout ce à quoi Jimmie s’identifiait.

Jonathan Majors et Jimmie Fails dans The Last Black Man in San Francisco | Crédit : A24

L’ambition de The Last Black Man in San Francisco est perceptible dès les deux premières scènes. La première marque la division raciale et socioéconomique de San Francisco alors qu’une jeune fille noire fixe d’un regard amusé un homme en costume de hazmat en train de traiter un terrain à proximité de l’eau. Suivra un discours sur l’action qu’il faut prendre pour défendre le quartier de ces injustices, donné par un ancien prisonnier, sous le regard de Jimmie et Montgomery. Déjà visuellement magnifique, cette scène est suivie d’une exploration du quartier de San Francisco (avec ralentis, caméra vivante, différents angles, zoom à l’intérieur de plans larges), sur les magnifiques cordes de la pièce MGV (Musique à grande vitesse) de Michael Nyman qui se mêle aux paroles du personnage clamant le discours. Le cinéaste, dans cette scène, effectue un parallèle entre son principal protagoniste et le quartier, par des rappels visuels entre des parties d’une maison et le corps de Jimmie Trails. Il est rare qu’un réalisateur s’impose si rapidement avec un style visuel unique. Unique parce que la composition d’images de Talbot est d’une grande beauté (le soleil oranger de la Côte Ouest américaine aide évidemment). Visuellement, certains plans rappellent des peintures. La direction de la photographie est impeccable.

Affiche officielle de The Last Black Man in San Francisco | Crédit : A24

En moins de dix minutes, Joe Talbot impose sa signature en tant que cinéaste. Nous savons dès ces deux premières scènes que nous ne sommes pas dans un drame classique; The Last Black Man in San Francisco poursuivra l’exploration, en douceur, de différents thèmes. Outre le racisme latent, la gentrification et la famille sont au cœur des préoccupations du protagoniste principal. Le quartier s’est transformé, alors que leurs habitants n’ont pas eu ce changement socio-économique. Mais le véritable cœur de ce film se trouve dans ces histoires que l’on croit pour pouvoir survivre, pour avoir une identité, quelque chose à quoi se rattacher. Lorsqu’il devra quitter la maison dans laquelle il s’est tant investi, Jimmie, avec l’aide de Montgomery, y fera une performance pour les gens du quartier. Cette performance sera la scène de quelques révélations, mais surtout d’une expérience partagée pour le voisinage. Ce sentiment d’appartenance que l’on se crée transpire le film, que ce soit l’appartenance familiale ou l’absence de celle-ci, ou encore l’appartenance à un quartier et à une maison.

Affiche alternative de The Last Black Man in San Francisco | Crédit : A24

Sans trop en dévoiler, la réussite du film repose sur cette manière de transmettre cet amour et l’importance aux lieux qu’a Jimmie envers le quartier et la maison, plus précisément. Les intérieurs de cette maison impressionnent à travers l’objectif du réalisateur qui sait parfaitement placer la caméra pour y capter une lumière sensible. Joe Talbot insuffle une grande dose de poésie à sa caméra et à ses images sans jamais tomber dans le romantisme (comme le fait d’une magnifique façon Barry Jenkins dans If Beale Street Could Talk), mais bien en rendant la lourdeur historique des lieux et de son personnage. Cette poésie n’est pas négative, mais sensible.

 

The Last Black Man in San Francisco se déguste, lentement, tout au long de ses 120 minutes. Le rythme n’y est pas effréné, au contraire, mais le film est rempli d’éléments susceptibles de vous interpeler. Ne serait-ce que pour voir sept des plus belles minutes du cinéma américain de 2019, ce film en vaut le détour.

Durée : 2h02

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