États-Unis, 2021
Note : ★★★★
After Yang est une étude sur le deuil et ses effets auprès de ceux et celles qui doivent survivre à la perte d’un proche. Du cinéaste américain d’origine sud-coréenne Kogonada, ce film de science-fiction revisite la vie d’un défunt en s’appropriant un thème typique au genre : la mémoire.
Œuvrant principalement dans l’essai vidéo depuis plus d’une dizaine d’années, Kogonada a produit une variété d’études sur les techniques et l’esthétique des plus grands cinéastes (Breaking Bad : POV, 2011, Kubrick : One-Point Perspective, 2012, Godard in Fragments, 2016). En 2017, il s’engage sur le grand écran en réalisant son premier long métrage de fiction, Columbus. Très bien reçue par la critique, cette production est suivie de After Yang qui est alors seulement le deuxième et dernier film de l’essayiste.
De cette courte filmographie, un style propre au réalisateur se révèle. En premier, dans les deux œuvres de fiction, un ou de multiples drames rassemblent dans leur intimité une poignée de personnages. Puis, à un rythme davantage contemplatif qu’actif, les trames narratives se développent autour d’interactions d’ordre métaphysiques entre ces derniers. Le tout attribuant au cinéaste un style méditatif qui ne peut plaire à tout le monde, mais qui promet de magnifiques moments d’introspection.
Basé sur Saying Goodbye to Yang, une courte histoire de l’auteur américain Alexander Weinstein, After Yang produit justement cette promenade contemplative et surtout pensive. Prenant place dans un futur relativement proche, mais dont la localisation est indéterminée, le récit suit une famille composée de Jake (Colin Farrell), de Kyra (Jodie Turner-Smith), de leur jeune fille adoptive Mika (Malea Emma Tjandrawidjaja) et de Yang (Justin H. Min), leur androïde.
Acheté par Jake et Kyra pour enseigner à leur fille son héritage culturel chinois et lui tenir compagnie, le robot (appelé techno-sapiens dans le film) représente plus qu’un simple gadget pour cette dernière qui le considère comme son grand frère. Brisé soudainement dès le début du film, Yang demeure désactivé pendant une considérable partie de l’histoire et si les deux parents réagissent plus légèrement à la perte de l’androïde, Mika vit un deuil.
Dans sa première performance au grand écran, la jeune interprète de Mika exprime brillamment la sensibilité et la légère innocence de son personnage à l’égard de la mort. Une magnifique prestation autour de laquelle semble se former le rythme affectif du film, qui parait évoluer avec les différents stades du deuil.
À un moment, Jake tente de faire réparer Yang et se retrouve en possession de sa banque de mémoire (memory bank). À partir de ce moment et jusqu’à la fin du film, Mika et le récit semblent balancer vers un stade particulier du deuil : l’acceptation. Résignée au départ de Yang, la famille décide d’utiliser cet accès à sa mémoire pour prendre connaissance de sa vie.
Dans une situation qui pourrait facilement tomber dans l’inconfort éthique du voyeurisme, Kogonada se sert de son expertise technique de l’essai vidéo pour brouiller le jugement moral. Par des flous, des répétitions, des coupures et des juxtapositions, l’essayiste élabore une esthétique et un cadrage spécifique à ces scènes pour maquiller cette expérience intrusive en une indirecte quête de recueillement autour de la perte d’un être cher.
Presque thérapeutique et définitivement captivante, cette réminiscence aborde une thématique populaire de la science-fiction. Parmi les plus grands récits du genre, la mémoire a effectivement été traitée d’innombrables manières. Par exemple, dans La Jetée (1962) de Chris Marker, un souvenir particulier de l’enfance du héros permet à des scientifiques du futur de voyager dans le passé. Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), de Michel Gondry et Total Recall (1990), de Paul Verhoeven, proposent des technologies permettant de supprimer et de remplacer la mémoire.
Dans ces derniers films, les souvenirs sont généralement instrumentalisés et modifiés afin de faire comprendre leur importance dans l’équation qu’est l’identité et surtout leur fragilité. En exposant l’esprit et les souvenirs de Yang, Kogonada et l’auteur Alexander Weinstein font réaliser que celui-ci possède une certaine intimité, qu’il a des rêves et des convictions, qu’il détient sa propre identité.
Présenté dans la section Un Certain Regard de l’édition 2021 du Festival de Cannes, After Yang offre une familiarité dans ce conte intemporel sur le deuil et ses implications. Avec un filtre terni qui rappelle l’esthétique de Blade Runner 2049 (2017) et une brillante composition des dialogues, ce film illustre de manière originale la mémoire comme n’étant pas seulement un outil ou une fenêtre, mais aussi un moyen de remplir le vide laissé par la mort.
Bande-annonce :
Durée : 1h36
Crédit photos : Showtime
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C’est la première critique qui, enfin, aborde ce film sous le bon angle, celui du deuil et de la perte d’un être cher. Ce n’est pas un film de science-fiction, oui, mais non, c’est d’abord un film humain qui nous interroge tous sur la valeur, celle d’un homme, d’un robot, d’une présence perdue. La perte bouleverse toujours et c’est ce que ce film aborde. J’adore ce film, il me fait réfléchir.