Argentine, 2016
Note: ★★★
Argentin d’adoption, l’Autrichien Lukas Valenta Rinner signe avec A decent woman, une satire sociale, drôle et percutante dont l’inégalité du traitement laisse le spectateur pantois.
Belen (impassible Iride Mockert) passe un entretien d’embauche pour devenir femme de ménage dans une riche demeure d’une banlieue résidentielle de Buenos Aires, protégée par des gardes de sécurité. A son arrivée, sa curiosité va l’amener à découvrir, derrière les apparats des maisons de luxe, les membres d’une communauté voisine qui vivent nus et en parfaite harmonie avec la nature. Très rapidement, ce nouvel éden, aux conventions sociales libérées, va chambouler le quotidien de la servante, en même temps que ses croyances les plus profondes, pour mieux la révéler à elle-même.
Dès le début du film, le réalisateur se plaît à enfermer son actrice, à la fois à l’image et dans les carcans d’une société mercantile où l’employée de service a du mal à trouver sa place. Tout le trajet pour rejoindre son nouveau lieu de travail s’apparente aux déplacements d’une détenue d’une prison au vu des précautions en vigueur pour pénétrer au sein de ce quartier « normalisé ». Il critique ouvertement une société qui a versé dans l’excès et perdu ses repères en vivant dans une toute autre réalité. C’est d’ailleurs sur ce point précis que le film est réussi, capturant le clivage social entre la banlieue fictive et le Buenos Aires de tous les jours, où les enfants jouent dans des rues jonchées de détritus. Non loin de là, dans un espace-temps coupé du monde extérieur, les préoccupations de la famille qui loue les services de Belen apparaissent bien superficielles. De fait, le cinéaste dépeint, non sans humour, le quotidien de la jeune femme qui doit s’armer de patience face aux caprices de sa patronne: réveil impromptu en pleine nuit pour écouter de futiles jérémiades ou encore charger la voiture d’objets lourds et encombrants pendant que le fils est tranquillement assis à l’avant du véhicule. Entre deux séances de jogging, ce dernier a pour seule obsession un tournoi de tennis. Parfois assise au milieu du court à compter les points, la domestique est souvent filmée de l’autre côté des vitres qu’elle nettoie (bruit de la raclette), signifiant ainsi son indocilité morale. A aucun moment elle n’est assimilée à ce monde-là comme le souligne sa petite taille face à la grande porte d’entrée de la maison. Dès lors, il sera facile pour le spectateur de s’identifier à Belen et de comprendre son attrait pour la communauté voisine.
Une vérité toute nue
Tandis qu’elle s’attèle à tailler la haie, elle entraperçoit des nudistes dans le jardin voisin (l’herbe est toujours plus verte ailleurs). Tout d’abord surprise, puis intriguée, en plein dilemme moral, elle s’adonnera elle aussi à cette pratique libératrice. Accueillie chaleureusement par ce nouveau cercle d’amis à coup d’interminables accolades et étreintes, elle fera fi des barrières physiques. Au programme, on se reconnecte avec son corps : séances de massage, apprentissage du sexe sous une forme tantrique On circule nu (avec un physique avantageux ou non), on chante nu, on lit nu. Plus de tabous, on est là pour profiter des plaisirs que la vie propose. On part à la (re)découverte de son corps dans des dérives parfois surprenantes (strangulation) ou encore l’imitation d’animaux qu’on personnifie au moyen de maquillage et de bruitage des plus déconcertants.
Loin de la poésie des corps nus dépeints dans la nature bucolique du Youth, de Paolo Sorrentino, le réalisateur préfère ici l’humour grivois sous forme de colonne ithyphallique ou de fontaine ornée d’un gland de chêne, affublé d’un téton. C’est volontairement grossier, irrévérencieux et jubilatoire. Cependant, la psyché omniprésente du fantasme masculin confère au film des allures stéréotypées et artificielles (il fallait oser le raccord à l’image d’une branlette et d’un frottage intensif de chaussures). La débauche de scènes où les «respectables » bourgeois sont opposés à l’effronterie non conformiste des nudistes ne suffit pas. Elles se succèdent tandis qu’aucune interaction ne se fait sentir entre les personnages. Sans avoir au préalable préparé son public à une telle violence, la fin, qui se veut cathartique, crée alors la surprise en semant l’incompréhension.
Entre humour grinçant et critique acerbe du monde moderne, le cinéaste ne ménage pas le spectateur. A tort, il privilégie, un rythme lent dans le but de mettre en relief les travers d’une société occidentale à la dérive. Ainsi, le récit apathique et décousu annihile toute intensité dramatique qui n’apparaît qu’à de rares moments. Les ruptures de ton qu’insuffle le réalisateur à son propos sont alors autant de moments drôles et caustiques que de malaises qui raidissent le spectateur au fond de son siège.
Durée: 1h44