Londres, 1981: les vies de Ritchie (Olly Alexander), Jill (Lydia West), Roscoe (Omari Douglas), Colin (Callum Scott Howells) et Ash (Nathaniel Curtis) s’intersectent et ils deviennent amis et colocataires. Dans sa plus récente œuvre, Russell T. Davies (Queer As Folk UK et US, Cucumber) nous offre plusieurs personnages absolument uniques, brillamment écrits; mous avons non seulement la chance de voir à l’écran des représentations honnêtes de la communauté LGBTQ+, mais également un portrait nuancé et informatif de la crise du SIDA. Les cinq épisodes de la série couvrent une décennie de la vie de ces personnages, illustrant les hauts et les bas de la vingtaine, période turbulente en soi mais qui devient un vrai défi lorsqu’on y ajoute les enjeux d’une crise sanitaire causée par un virus inconnu, apeurant et mortel. Paru en début d’année 2021, It’s a Sin mélange habilement comédie et drame, produisant un magnifique portrait de la jeunesse en plus d’offrir des observations pertinentes sur la politisation des maladies. En effet, il est dur de ne pas faire un lien entre la discrimination vécue par la population LGBTQ+ en lien avec la crise du SIDA et la population asiatique présentement aux prises avec une quantité répréhensible d’actes haineux motivés par la pandémie de COVID-19.
Davies, dans ses scénarios, explore des thèmes tels que la honte et le déni, ainsi que l’évolution de la crise sanitaire au cours de la décennie 1980, tout en conservant une atmosphère chaleureuse qui montre l’unité du groupe d’amis et la force de cette petite famille. À quelques reprises, le montage alterne des scènes joyeuses, où l’on voit les personnages épanouis dans leur art, avec des scènes tristes ou sinistres. Dans le deuxième épisode, les numéros de chant de Jill et de Ritchie (Alexander) sont alternés avec des scènes où elle prend soin d’un ami accaparé par la maladie. Cela se reproduit dans le troisième épisode lorsque des images d’une production de théâtre sont alternées avec les réactions des personnages qui reçoivent leurs tests. Alors que la guillotine descend sur scène, on sent une tragédie approcher dans les coulisses, c’est-à-dire dans la vie privée, dans l’intimité du groupe d’amis. C’est une façon astucieuse de représenter une société où, malgré la peur et la maladie, la vie continue tant bien que mal.
Avec une histoire aussi riche en émotions et en intrigues, dur de savoir par où commencer. Cependant, ce sont bien les personnages qui peuplent l’univers de It’s a Sin qui rendent chaque épisode engageant, émouvant et unique. En voici cinq qui sont très intéressants – et qui donnent certainement envie de découvrir cette merveilleuse série.
» Ritchie Tozer
Malgré le fait que les créateurs accordent une importance égale aux cinq amis faisant partie du groupe central, Ritchie (brillamment interprété par Olly Alexander) se démarque un peu plus en tant que protagoniste de la série. Originaire de Isle of Wight, il part pour Londres afin d’étudier en droit, mais change rapidement son parcours afin de poursuivre sa vraie passion: le jeu d’acteur. Il vient d’une famille stricte, avec une mère accablante, un père qui se soucie un peu trop de l’argent et de l’opinion des autres, et une sœur qui est constamment de mauvaise humeur. Pour Ritchie, Londres représente une forme de liberté suprême: il peut enfin être lui-même. On peut parfois le trouver égoïste puisqu’il ignore l’inquiétude croissante liée au SIDA et continue d’avoir des rapports sexuels de manière irresponsable, mais il s’agit d’un jugement rapide puisqu’il est un personnage extrêmement complexe. Il ne fait aucunement preuve de méchanceté, seulement d’une ignorance attribuable à son âge et à sa famille répressive. Son parcours psychologique est brillamment représenté à l’écran: on voit dans Ritchie les lourdes conséquences d’une existence ancrée dans la honte et le déni transmis par son milieu d’origine. C’est sans aucun doute le personnage le plus complexe que la série nous offre.
» Jill Baxter
Dans le personnage de Jill (Lydia West), on retrouve le rôle de l’alliée. Inspirée par Jill Nalder, une activiste et amie d’enfance de Davies, elle interprète même la mère du personnage de Jill dans la série. La Jill fictive est l’une des premières personnes à s’informer obsessivement sur le SIDA, prenant la maladie au sérieux. Elle fait constamment de son mieux pour s’informer et pour aider les gens touchés. Alors que des garçons commencent à mystérieusement disparaître ou retourner à la maison en région sans explications, sans garder contact avec la communauté londonienne, la série dévoile un contraste entre l’implication de Jill dans la cause et le désintérêt de ses colocataires Ritchie et Roscoe, qui eux vivent dans le déni afin de protéger leurs émotions. Ce contraste s’explique par l’influence parentale: les deux garçons sont issus de familles strictes et cherchent désespérément à s’épanouir dans leur identité et à se concentrer sur eux-mêmes refusant toutes limites. Ce déni est proportionnel à cette quête de liberté qui leur a toujours été interdite par leurs parents autoritaires. Cependant, dans Jill, nous voyons l’influence positive d’une famille remplie d’amour: grâce au soutien de ses parents, elle a la force d’être généreuse, tant avec son temps qu’avec ses émotions, aux bénéfices humains des ses amis affectés par la maladie.
» Henry Coltrane
Interprété par nul autre que le brillant Neil Patrick Harris, Henry devient un mentor pour Colin (Callum Scott Howells) à son premier emploi, lui donnant la force de s’affirmer dans sa sexualité et le protégeant de leur patron douteux. Henry vit dans une maison avec son amoureux et affirme discrètement son orientation sexuelle depuis des décennies. Il offre donc un peu d’espoir quant à la normalité dont pourrait profiter la communauté LGBTQ+, montrant la possibilité de vivre en paix mais surtout que toute histoire d’amour homosexuelle n’est pas que tragédie. Il est un homme raffiné et doux, qui sert de modèle à Colin en lui donnant confiance en lui-même sans rien s’attendre en retour. C’est une belle amitié intergénérationnelle qui fait ressortir la générosité de Henry, qui permet à Colin, jusque là discret, de découvrir une communauté qui l’accepte et d’offrir à son tour de l’aide à quelqu’un dans le besoin.
» Roscoe Babatunde
Issu d’une famille d’immigrants nigérians extrêmement religieux menée par un père missionnaire, Roscoe (le premier rôle à l’écran de Omari Douglas) commence la série en fuyant de chez lui avec seulement une valise, un parapluie et un peu d’argent prêté par sa sœur. Pour ce personnage extrêmement ambitieux, le but n’est pas de se retrouver ou de s’accepter puisqu’il a déjà fait sa recherche identitaire. Son parcours est plutôt une recherche de la balance entre l’affirmation de soi et la responsabilité d’être présent en tant que fils, frère et ami. À plusieurs reprises, il se retrouve dans des situations où il tente de réconcilier son fort caractère et son besoin d’indépendance avec son amour et son dévouement envers ses amis et sa communauté. Roscoe est le personnage le plus flamboyant et original: il ne déçoit jamais avec ses tenues flashys et son maquillage scintillant.
» Valerie Tozer
Contrastée avec Eileen (Andria Doherty), la mère monoparentale compréhensive et affectueuse de Colin, ou encore avec les parents activistes de Jill, Keeley Hawes incarne un mère névrosée, froide, et remplie de préjugés. Sa fermeture d’esprit freine le développement de Ritchie, ce dernier se battant alors avec un manque de confiance en lui et une honte liée à son identité, et ce, longtemps après avoir quitté le nid familial. Valerie n’est cependant pas qu’une simple antagoniste; malgré ses agissements parfois méchants et ses jugements blessants, elle est tout de même un personnage complexe, chose que It’s a Sin lui accorde davantage face autres parents. Lors d’une confrontation quasi finale entre Valerie et Jill, cette dernière critique les gestes de la mère de famille en lui mentionnant avoir senti un manque d’amour dans la résidence des Tozer. C’est une merveilleuse façon de mettre l’accent, une dernière fois, sur l’importance de l’acceptation et de la communauté, des thèmes que la série explore constamment. Cet échange résume en quelque sorte tous les propos que Russell T. Davies a voulu aborder. Après tout, malgré ses différences par rapport aux autres personnages, Valerie nourrit tout de même l’idée centrale de It’s a Sin: il ne faut pas se laisser emporter par la peur et la haine. Nous aboutissons à des bien meilleures solutions lorsque l’on travaille ensemble, en communauté.
Bande annonce originale anglaise:
Crédit photos: Red Production Company